La pleine conscience : fondement de l’intelligence émotionnelle

La conscience de soi est à la base de l'intelligence émotionnelle, et les pratiques de pleine conscience améliorent notre conscience de soi.

Viktor Frankl était un psychiatre, un auteur et un survivant de l’Holocauste.

Son livre Man’s Search for Meaning (« la quête de sens de l’homme », dont le titre de la version française est Découvrir un sens à sa vie) relate son expérience en tant que prisonnier dans un camp de concentration nazi. Il s’agit d’un livre extraordinaire. Frankl se penche sur cette idée qu’on peut tout enlever à un être humain, sauf une chose : l’ultime liberté humaine, écrit-il, est la capacité de choisir l’attitude que nous voulons adopter, et ce, dans n’importe quelle situation.

Ainsi, la citation suivante lui est souvent attribuée :   

« Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace. Dans cet espace, nous avons le pouvoir de choisir notre réponse. Dans notre réponse résident notre épanouissement et notre liberté. » 

Accroitre l’espace entre le stimulus et la réponse est un exercice d’intelligence émotionnelle, un concept qui a fait surface plus de 40 ans après la publication du livre de Frankl. Un exemple de stimulus peut être un courriel de la part d’un client mécontent, ou une erreur faite par un collègue. Comment allons-nous réagir à ce genre de situation? 

Les professionnels dotés d’une intelligence émotionnelle s’efforcent d’accroitre l’espace entre le stimulus et la réponse afin que leurs actions soient en accord avec leurs grands objectifs, leur mission et leurs valeurs, et pour que leurs équipes demeurent saines, durables et performantes. 

Décrivons donc ce qu’est l’intelligence émotionnelle (IE), et le rôle puissant que joue la pleine conscience dans le développement de celle-ci.

L’IE est devenue l’un des concepts les plus populaires dans le domaine de la gestion et du leadeurship. La science continue de montrer que l’embauche d’employés émotionnellement intelligents permet à une entreprise de prendre de meilleures décisions, d’accroitre la positivité, la motivation, la productivité et la performance des employés, ainsi que de réduire leur stress.

Il existe de nombreux modèles théoriques de l’intelligence émotionnelle. Je me réfèrerai à celui élaboré par le psychologue, journaliste scientifique et auteur à succès du New York Times, Daniel Goleman. À l’heure actuelle, c’est le modèle qui prédit le plus précisément les résultats positifs en milieu de travail.

Le modèle d’IE de Goleman comprend quatre domaines et douze compétences clés. Les domaines sont (1) la conscience de soi, (2) la gestion de soi, (3) la conscience des autres et (4) la gestion des relations. Comme les compétences sont des aptitudes qui doivent être acquises, un domaine représente le niveau de départ – ou le potentiel de base – que chacun possède en vue d’acquérir une compétence. Quel que soit notre niveau de départ dans chaque domaine, il faut travailler à transformer notre potentiel d’intelligence émotionnelle en compétences professionnelles. Par exemple, avoir une conscience des autres naturellement élevée n’assure pas la maitrise de la capacité à résoudre un désaccord entre deux employés (la gestion des conflits étant une compétence clé du domaine de la conscience des autres). Il peut s’avérer nécessaire de faire cet apprentissage.

Ce qui surprend beaucoup de gens, d’abord, c’est que l’IE n’est pas innée. Au contraire, il s’agit d’un ensemble de compétences qui doivent être cultivées par un entrainement intentionnel.

Comme le note le philosophe Alain de Botton, à l’école,

« nos énergies sont massivement dirigées vers des sujets matériels, scientifiques et techniques, au détriment des sujets psychologiques et émotionnels. […] On suppose que l’intelligence émotionnelle n’est pas nécessaire, ou qu’elle ne peut être enseignée, qu’elle se situe au-delà de la raison ou de la méthode, qu’elle est un phénomène qu’il vaut mieux abandonner à l’instinct et à l’intuition de chacun. On nous laisse trouver notre propre chemin dans nos esprits incroyablement compliqués; une démarche aussi troublante (et à peu près aussi sage) que de suggérer que chaque génération devrait redécouvrir les lois de la physique par elle-même. »

Dans notre monde et nos lieux de travail instables, incertains, complexes et ambigus (VUCA, d’après l’anglais « volatility, uncertainty, complexity and ambiguity »), les choses évoluent si rapidement que bon nombre des connaissances scientifiques et techniques apprises à l’école sont maintenant obsolètes, ou alors elles constituent un ensemble de compétences non distinctives, c’est-à-dire facilement accessibles à de nombreuses personnes, notamment grâce à Internet. Aujourd’hui, par exemple, le QI et l’intelligence cognitive sont des indicateurs moins importants de la réussite organisationnelle que l’IE et l’intelligence interpersonnelle, autrefois perçues comme des compétences « secondaires ».

Indépendamment des progrès technologiques, les compétences émotionnelles resteront essentielles à la réussite personnelle et organisationnelle. Comme Alain de Botton le souligne, ne pas enseigner l’intelligence émotionnelle est tout à fait insensé.   

Alors, comment peut-on apprendre l’IE?

Une façon de commencer est par la pratique de la pleine conscience.   

Selon le modèle de Goleman, nous devons avoir conscience de nous-mêmes pour devenir compétents dans tous les autres domaines de l’IE. La conscience de soi est le fondement de la pyramide de l’intelligence émotionnelle. Elle implique non seulement d’être en mesure de nous observer nous-mêmes, mais aussi de reconnaitre les liens entre nos pensées, nos émotions et nos réactions. 

Les recherches menées par la psychologue organisationnelle Tasha Eurich révèlent que 95 % des gens pensent être conscience d’eux-mêmes, mais qu’en fait, seuls 10 à 15 % des gens le sont réellement.

La pleine conscience consiste à devenir témoin de nos pensées, de nos sentiments et de nos sensations physiques, sans nous laisser emporter par ceux-ci, ni les juger ou y réagir. « Avec la pleine conscience, nous observons tout ce qui se passe dans notre esprit », écrit Goleman. C’est aussi simple que cela. Un des exercices de la pleine conscience est la méditation. Il s’agit de prendre un peu de temps (pour ma part, j’ai commencé par 6 minutes, chaque matin), de s’assoir et de concentrer son attention sur sa respiration. Lorsque l’esprit vagabonde, ou lorsqu’une émotion ou une sensation physique surgit, l’exercice consiste à remarquer la pensée, l’émotion ou la sensation, puis à ramener l’attention sur le souffle. Le but n’est pas d’arrêter de penser ou de ressentir, mais plutôt d’observer tout ce qui se passe, sans jugement ni emportement.

Yuval Harari, l’auteur des bestsellers internationaux Sapiens et Homo Deus, médite deux heures par jour (ce qui est beaucoup pour quiconque, ne vous inquiétez pas), et explique que la méditation

 « n’est pas une manière d’échapper à la réalité. C’est plutôt entrer en contact avec la réalité. Au moins deux heures par jour, j’observe la réalité telle qu’elle est, alors que pendant les 22 autres heures, je suis submergé par les courriels, les tweets et les vidéos de chats. »

La pratique de la pleine conscience nous permet de voir tout ce qui se passe réellement en nous – « la réalité telle qu’elle est » – ce qui ouvre une voie vers la conscience de soi. Ce qui se produit avec le temps, lorsque nous persévérons à développer notre pleine conscience, c’est que nous commençons à remarquer les liens entre nos pensées, nos émotions, nos sensations et nos comportements. Ces liens qui, lorsqu’on ne les voit pas, nous mènent. 

Voici un exemple d’un lien que j’ai remarqué en pratiquant la pleine conscience : pendant que je travaille, une pensée surgit : « Je ne suis pas qualifiée pour ce travail… je ne suis pas assez bonne pour être ici. » Cette pensée déclenche alors des sensations physiques dans mon corps : des picotements dans les doigts, une accélération du rythme cardiaque et un essoufflement. Je reconnais alors ces sensations comme de l’anxiété, c’est-à-dire comme une émotion. Comme je n’aime pas me sentir anxieuse, j’arrête ce que je fais pour regarder des photos sur Instagram, ou alors pour mettre la main sur une collation sucrée : une réponse comportementale par laquelle je cherche à obtenir un soulagement à court terme de l’anxiété que je ressens. 

En remarquant ce qui se passe en moi, la chaine pensée-sensation-émotion-réaction ci-dessus, j’ai franchi la première étape afin de changer mes habitudes malsaines. Cet exemple montre que la conscience de soi, le premier domaine de l’IE, précède nécessairement la gestion de soi (le second domaine de l’IE). Sans la pratique de pleine conscience, par laquelle j’ai pu voir l’effet domino qui se produit à l’intérieur de moi, je n’aurais pas su changer mon comportement. 

Une autre chaine souvent rapportée par les dirigeants conscients d’eux-mêmes est la suivante :

Émotion : peur de l’échec → Pensée : « Mon employé X ne fait pas son travail consciencieusement, ce qui risque de donner une mauvaise image de moi comme patron » → Sensations : poitrine qui se serre, rythme cardiaque qui s’accélère → Réactions : se fâcher en criant sur X et terminer la tâche soi-même.  

Dans cet exemple, une dirigeante qui pratique la pleine conscience pourrait reconnaitre que c’est sa peur de l’échec qui est à la source de ses pensées, ses sensations et ses réactions. Elle pourrait alors prendre conscience du travail qu’elle doit faire pour comprendre avec maturité sa peur injustifiée. Dans un effort d’un tout autre ordre, elle pourrait encadrer et guider son employé qui ne semble pas réaliser son plein potentiel.  

Les données sont unanimes : se comporter avec empathie, patience et écoute est la façon la plus durable de diriger.

L’impulsivité émotionnelle entraine des résultats négatifs au travail et dans la vie, tant pour la personne impulsive que pour la personne qui en fait les frais.

Il est important de noter qu’il ne peut y avoir de gestion de soi sans conscience de soi. La conscience de soi doit être développée en premier, et elle nécessite un entraînement intentionnel à long terme, car elle n’est pas innée chez nous. Cet entraînement, c’est d’abord la pratique de la pleine conscience.  

Un autre élément essentiel qu’ont découvert les neuroscientifiques : les émotions sont contagieuses. Les employés peuvent « attraper » les émotions de leurs collègues ou leurs dirigeants. Tout comme l’arrière d’un bateau crée un sillage, les émotions que nous projetons ont un impact sur notre environnement (et ce, qu’on le souhaite ou non). Apprendre à se connaitre par la pleine conscience est une étape nécessaire pour percevoir clairement une émotion ressentie, afin de pouvoir la gérer efficacement et d’éviter de la transmettre aux autres. 

En somme, rappelons-nous qu’« entre le stimulus et la réponse, il y a un espace; que dans cet espace, nous avons le pouvoir de choisir notre réponse; et que dans notre réponse résident, enfin, notre épanouissement et notre liberté ». La pratique de la pleine conscience nous permet d’accroitre l’espace entre le stimulus et la réponse. Elle trace le chemin vers la conscience de soi, le véritable fondement de l’intelligence émotionnelle. 

Nous vous invitons à faire le premier pas pour développer votre intelligence émotionnelle en téléchargeant l’une des multiples applications de pleine conscience gratuites (comme Awakened Mind, Petit BamBou, Ten Percent Happier ou Calm) et à ne pas hésiter à nous envoyer vos questions, tout au long de votre parcours vers la conscience de soi.

Pour en savoir plus sur nos formations en intelligence émotionnelle, nous vous invitons à nous écrire à l’adresse suivante : commmunity@mindsmatter.com.